Christian Cotten, 48 ans, «psychosociologue», devenu obsessionnel des affaires d'Etat et protecteur du fils Schuller.

Loup-gourou

Christian Cotten en 10 dates

Mai 1953
Naissance à Colombes (Hauts-de-Seine).

1970
Bac, puis hypokhâgne.

1977
Débute ses études de psycho.

1981
Devient formateur vacataire.

1985
Crée sa société, Stratégique.

1994
Monte une liste aux élections européennes.

1996
Premier litige avec l'Etat.

1997
Lance une campagne pour s'opposer à la vaccination contre l'hépatite B.

1999
Nouvelle liste «Politique de vie» aux européennes. Son entreprise est épinglée par la mission d'enquête sur les sectes.

Octobre 2001
Rencontre avec Antoine Schuller chez Marie Laforêt.


Le 25/02/2002
Par Judith PERRIGNON
our le trouver, tapez deux mots clés sur l'Internet: Mafia et Pasqua. C'est ce qu'a fait Antoine Schuller, le fils hanté par la figure paternelle, grillée par le soleil dominicain. Il a surfé, aidé des deux mots qui résument pour lui la vie de son père, et Christian Cotten lui est apparu, plus rapidement que le dépanneur sur le bord de la route. Un accro des décharges publiques, ce Cotten ­ «Mon job, c'est éboueur», dit-il. C'est plutôt le genre col blanc, boutonné jusqu'en haut quand il n'est pas ceint d'un noeud papillon. La barbe est taillée de près, l'oeil est vif mais pas fiévreux, le sourire s'est depuis longtemps évaporé. En plus de Pasqua (qu'il accuse d'avoir fait massacrer les membres de l'ordre du Temple solaire dans le Vercors en 1995) et de Mafia (qu'il associe à franc-maçonnerie), vous pouvez taper Rika Zaraï (supportrice de sa liste «Politique de vie» aux européennes en 1999), secte (les rapports parlementaires sur le sujet l'ont épinglé), Bérégovoy peut-être (il croit à la thèse du meurtre) et, désormais, Schuller. Bien des chemins mènent à Cotten. «J'ai une vie intense.» Il s'est niché dans les zones d'ombre de la République, juché sur un tas de dossiers effectivement mal ficelés, et armé de quelques casseroles, il fait du bruit. Le jeune Schuller tombait bien.

C'est Marie Laforêt qui a pris contact. On arrive toujours à Cotten par le ressentiment. L'ex-chanteuse en a après son ex-mari, financier et franc-maçon qu'elle dit mêlé aux histoires du Temple solaire. Elle reçoit Christian Cotten et lui présente le rejeton Schuller sous le pseudonyme de «François». Ils restent en contact. Ça sent si bon le scandale. Début décembre, «François» rappelle. Le rendez-vous, dans un bistrot du XVIe arrondissement de Paris, se termine chez Cotten à Boulogne. «Je l'ai installé devant un café dans la cuisine, il m'a déballé sa vie.» Il lui laissera aussi pendant quelques nuits le canapé de son bureau, parce que le fils, en rupture de ban, ne peut plus dormir chez sa mère. Il est aux petits soins. «Je fais de la thérapie familiale avec Antoine Schuller. C'est un gamin psychologiquement violé, qui a découvert à 20 ans qu'il a grandi dans un monde faux, un monde de truands.» «Ce n'est pas mon psy», dit pourtant l'Antoine. Ils ont en tout cas besoin l'un de l'autre. Cotten lui présente un journaliste, un gars des Renseignements généraux, inonde pour lui les antichambres ministérielles de fax, veut forcer le retour du mauvais père. Le fils Schuller offre, lui, un nouveau glaive au chevalier blanc.

Mais qui est-il? Profession: psychosociologue. Age: 48 ans. Marié deux fois, trois enfants. Passe-temps devenu plein temps: de gros comptes à régler avec l'Etat. Ça remonte à 1996, dit-il: «Ma première poubelle de la République.» Il dirige alors une société de formation, Stratégique, qui vit de contrats avec des grandes entreprises et administrations françaises. Le ministère des Finances confie à Cotten la préparation d'un programme pilote pour l'amélioration des relations avec les usagers. Quand le ministère lance un appel d'offres pour organiser et étendre la formation, Cotten s'inquiète, se demande si la compétition n'est pas truquée en sa faveur. Il porte plainte pour favoritisme à son égard. Du jamais vu dans les annales de la police. Il dit: «C'est un viol psychique, celui qui fait la loi en impose la transgression, ça donne envie de tuer.» Voilà, c'est tout. C'est ainsi qu'il bascule. Le ministère se souvient de n'avoir rien compris. Son ancienne salariée préfère ne pas parler. Il ajoute calmement: «Avant, j'imaginais pas tout ça, je lisais Libé, le Nouvel observateur; je votais rarement mais à gauche ou écolo.»

Il a grandi dans les quartiers pavillonnaires de la banlieue parisienne, sa mère dirigeait une agence bancaire, son père était cadre. La mère s'est présentée aux élections municipales; fille d'un immigré espagnol cégétiste, elle avait la fibre communiste et pas seulement bancaire. Il a un souvenir, une image, qu'il offre sur un plateau au journaliste en quête de déterminisme. «J'avais 10 ans, un mec des Renseignements généraux est venu, il a emmené ma mère faire un tour, pour qu'elle ne participe pas à une conférence de presse contre l'élu gaulliste.» Puis il dit, content de lui: «J'ai l'art de prendre des détails pour en faire des légendes.» Aveu? Tentative de déstabilisation? Deux fois, oui. Il poursuit. Il a 15 ans en 68 ­ «J'ai été marqué par cette période». A 17-18 ans, le voilà «gentiment militant politique», tendance trotskiste: «Je suis parti de tout ça, intellectuellement, c'était rigide et clos.» Il fait l'instituteur, pendant trois ans, puis du théâtre, l'ouvrier dans une usine de produits chimiques ou vendeur d'encyclopédies en faisant du porte-à-porte. Et puis question: «Est-ce que je deviens un terroriste ou est-ce que je fais de la psychologie sociale?» La rage ne date pas d'hier. Il choisit la seconde voie, ce qui ne veut pas dire la vie rangée. Le psychosociologue descend, selon lui, «du sorcier», «du fou du roi», «du directeur de conscience». Il fait psycho à la Sorbonne. Devient consultant en entreprises. Jeune homme anachronique quand l'air du temps est baba cool. «Il était archichiant, il donnait à tout une dimension pénible et grave», se souvient un collègue. Il se prétend aujourd'hui, «thérapeute du système». «Je ne connais pas la crainte liée aux statuts sociaux, je réagis comme un médecin devant des gens à poil.»

Il aurait pu rester un simple faiseur de poubelle, un candidat fantaisiste, un porte-parole des médecines douces, si un rapport parlementaire ne lui avait offert la consécration. En 1999, la commission d'enquête sur les sectes épingle sa société comme une voie d'infiltration de la scientologie vers les entreprises. «Une connerie», reconnaît un ancien membre de la commission. Mais pour Cotten, c'est sûr, cette fois: on lui en veut au plus haut sommet de l'Etat. Alors, il prend le parti «des victimes de la chasse aux sectes», donc des sectes. Il n'est pas scientologue, mais s'affiche avec ses zélateurs. Une croisade nécessite des alliés. Il poursuit du beau linge, avocats, juges, députés. Aux uns, il écrit qu'ils ont du sang sur les mains; aux autres, qu'il consacrera vingt ans de sa vie à les poursuivre. Il fait le cirque chez Dechavanne. «C'est un hurluberlu paranoïaque et mythomane», dit Me Vuillemin, qui plaida dans l'affaire du Temple solaire.

Ce jour-là, il est calme. Obscur et malin. Il explique qu'un bon psy doit être capable d'être fou avec les fous: «Si je veux aider un paranoïaque, il faut que je sois capable de jouer avec lui.» Alors il joue l'éboueur thérapeute de la République ? Décembre 2001, pendant qu'il prépare avec Schuller la première torpille de la présidentielle, il propose par courrier un troc au ministère des Finances: si la liquidation de sa société est stoppée, il mettra au service du candidat Jospin tout ce qu'il connaît d'adeptes des médecines douces et d'amis des sectes. Il veut juste s'entendre dire non. Remâcher ses obsessions. Il a bien fait de choisir psycho plutôt que poseur de bombes.